Le 27 Avril 2010, à Montpellier, j’ai le privilège de rencontrer lors d’une conférence l’actrice algérienne Nadia Kaci.
Cela fait quelques semaines que j’entends parler des « Femmes d’Hassi Messaoud ».
Une horreur qui glace le sang, un cauchemar qui grave des sueurs froides et des images. Des blessures immortelles.
Des femmes, Laissées pour mortes. Dans l’ombre de la douleur. C’est un témoignage bouleversant, on ne reste pas indifférent.
On cri de l’intérieur.
« Ce choc est resté longtemps », livre Nadia Kaci lors de la Conférence. Elle dit être « témoin de chose qui m’insupportait, tout devenait insupportable »…
Elle est là, l’auteure du témoignage, derrière la table, ses cheveux frisés, lunettes sur le nez…un petit bout de Femme. Mais Femme. Elle met de la Force dans ses mots, dans son message. Elle lutte, pour ne pas qu’un 13 Juillet 2001 ne se reproduise.
13 Juillet 2001.
Une « horde » d’hommes, rongés par la violence, influencés par le prêche d’un imam, haineux, une « haine sévère envers les femmes ». Hassi Messaoud, une ville pétrolifère en plein désert du sud de l’Algérie. Implantation de multinationales, cela attire les travailleurs, et travailleuses…
Mais une femme indépendante, qui travaille ne peut être qu’une prostituée ! C’est ce que pense cette horde sauvage d’hommes.
Un contexte politique, un manque d’argent flagrant, voilà quelques causes du départ des femmes vers une ville où elles trouveront du travail.
C’est ce qu’a décidé de faire Rahmouna Salah. Elle laisse ses enfants à sa mère, et à son grand frère. Un grand frère sans amour, il n’a que faire de sa sœur, ce n’est qu’une femme… Rahmouna a eu un premier mari qui l’a battue, un deuxième qui a fait de même. Une vie où l’homme domine.
A Hassi Messaoud, il y a d’autres femmes. La jeune Fatiha Maamoura, qui raconte elle aussi son témoignage dans le livre.
Car cette nuit du 13 juillet, elle a été violée, insultée, battue à sang, et enterrée vivante.
Ils étaient 300 hommes pour une cinquantaine de femmes.
Elles vivent dans des quartiers plus ou moins insalubres, autour de la ville. Elles ont un habitat, seules ou avec d’autres femmes, elles sont Libres. Elles ont de l’argent tout les mois grâce au travail dans les usines, comme femme de ménage par exemple. Elles doivent bien sûr envoyer de l’argent aux familles, mais au moins elles vivent, sans être sous le joug d’un homme.
Pour ces raisons, elles sont considérées par certains comme prostituées, il faut les « laver ».
Un discours haineux qui crée des actes sans pitié, sans raison, sans Humanité.
Les femmes sont violées, battues à mort, volées, pillées… sans plus aucune dignité.
En une nuit.
Une haine et une violence de la part de ces hommes qu’on ne peut imaginer. Comment peut-on croire que cela peut se faire ?
Et pourtant, suite à cette nuit là, les femmes ne sont pas reconnues. On les transfert dans une auberge, on leur fait des promesses de justice, de dignité. Mais rien.
Les policiers sont à peine intervenus.
Fatiha est sortie vivante de sa tombe, mais sans Espoir de vie.
Et Rahmouna, une femme tellement brave, tellement aimante envers ses enfants et courageuse pour cette vie qu’elle a menée. Elle a reçu un coup de couteau dans le ventre, a été battue elle aussi.
Mais elle n’est pas morte. Elle vie, pour ses enfants.
Certaines des femmes, suite au massacre sont retournées chez leur famille quand elles l’ont pu, d’autres sont retournées travailler… retournées dans leur appartement pillé.
Certaines sont déshonorées de leur famille car des journaux publient des articles démontrant ces femmes comme des prostituées, des femmes sans honneur. Et qui ont perdu leur virginité.
Cette perte de virginité est la pire des choses dans ce lynchage selon certaines, car elles n’étaient pas encore mariées et ont été violées, donc elles ne trouveront jamais de mari.
C’est la loi dans ce pays.
Le code de la Famille promulgue lui-même l’inégalité entre hommes et femmes. Bien qu’il ait été modifié en 2004, la femme reste toujours sous l’homme. Si elle veut divorcer est doit verser une indemnité au mari !
« C’est une société qui véhicule le dénigrement systématique de la femme » nous explique Nadia Kaci. « Nous ne sommes pas protégées par les lois de notre pays. On légalise l’injustice ».
En l’écoutant, puis à la lecture du livre Laissées pour mortes, on se sent tout petit.
Toute petite sous la force physique de l’homme.
Sous des gestes que l’on croyait impossible.
.
J’aurais aimé que le viol n’eut jamais existé.
Que la violence fut impossible.
.
Car ces femmes, victimes d’un tel drame, ne vivent plus, elles survivent.
Elles ont été « un défouloir » nous livre Nadia Kaci, « tout d’un coup j’ouvrais les yeux et je ne pouvais plus faire de déni ».
Des procès ont eu lieu. Une « parodie » de procès. Sans avocat pour les victimes, et dans une totale indifférence de la souffrance des femmes.
Les coupables ont tout gagné.
C’est à ce moment que je me suis rendue compte de ce qu’est l’impunité, le manque de justice.
Cela amène une colère débordante. Telle la colère de Fatiha, outrée, qui crie sa douleur, qui hurle de toutes les forces qui lui restent.
Mais le pire, si cela est encore possible, reste le fait que ça recommence.
Et oui, quand l’insupportable persiste, quand la déraison et l’inhumanité ne font plus qu’une. Quand on ne peut plus comprendre pourquoi…
En Mars et en Avril de cette année-ci des hommes ont recommencé leurs terribles violences sur des travailleuses d’Hassi Messaoud.
Que fait le gouvernement algérien ? Des rondes de policiers ont été installées, mais elles sont quasiment inutiles et inefficaces. Qui s’en soucis réellement ? Certainement pas les multinationales.
Les associations aident beaucoup mais sont débordées. Comme le dit Nadia Kaci : « Les violences sont tellement énormes que les associations en Algérie sont surbookées ».
Petit à petit dans la presse l’histoire est relatée, des femmes sont entendues et les témoignages sont publiés, en Algérie comme en France et ailleurs.
Car des femmes déjà lynchées en 2001, l’ont été une nouvelle fois en 2010. Neuf ans après, la même horreur…
C’est la « politique de l’impunité » nous livre Nadia Kaci. Les meurtriers « savent attendre, ils attendent, pour recommencer ce qu’ils font depuis 10 ans. Et ça, c’est intolérable ».
Les femmes de leur côté « elles ont peur, elles ont vraiment peur ».
Des larmes piquent les yeux, là sur ma petite chaise dans cette salle de conférence.
Puis devant le livre, devant ce témoignage, créateur de colère, de cauchemars, mais aussi de tant d’admiration devant ces femmes si courageuses.
C’est une histoire qui me touche profondément. Je veux que cela cesse. Que les femmes retrouvent leur Dignité, qu’elles soient respectées, qu’elles soient aimées.
Qu’elles soient considérées comme ce qu’elles sont, et non comme l’image que s’en font les hommes. Ces bêtes assoiffées de haines et de violences.
.
Après la conférence, Nadia Kaci dédicaçait sont livre. J’ai alors eu la chance d’avoir ce beau témoignage : « Pour qu’il n’y ait plus jamais de violences à l’encontre des femmes. »
Oui. Un des plus beaux souhaits…
.